“Est-ce que cela va aller pour mon enfant ?“ C’est la première question que me posent les parents en consultation... Qu’est-ce que je réponds à ces mamans ? Pendant plus de deux ans, leur enfant a été contaminé par le plomb qui se trouvait dans l’eau dite potable.” La pédiatre Mona Hanna-Attisha ressent la peine et l’injustice que vivent les habitants. Elle se bat depuis un an pour que l’État se préoccupe de l’avenir des 30.000 enfants touchés par l’empoisonnement.
Pour “docteur Mona” comme l’appellent familièrement les habitants, la liste des symptômes est longue. Les enfants, les femmes enceintes et les personnes âgées ont subi des dommages sévères et irréversibles. Les bactéries trouvées dans l’eau, les légionnelles, ont entraîné la mort de dix personnes.
Aucun médicament n’existe pour aider les parents à soigner leurs enfants touchés par l’empoisonnement. “Je leur dit ‘Aimer votre enfants, lisez, chanter, parlez lui, et jouez avec lui, aidez-le à avoir une bonne diététique, et emmenez-le régulièrement chez le docteur. Et si vous êtes toujours inquiets, revenez vers moi’”, raconte “docteur Mona” d’une voix plein d’empathie.
Dans les rues de Flint, des pancartes encouragent à manger plus de fruits et légumes pour lutter contre les effets de l’empoisonnement.
Bien que les symptômes soient principalement physiques, l’équilibre mental de certains habitants a également été fragilisé.
Le pasteur Dawson est très impliqué dans sa communauté. Avec un groupe de bénévoles, il encourage les résidents à parler de leurs problèmes. “Il y a toujours des préjugés autour du psychologue, j’essaie donc de montrer qu’il faut dépasser les idées reçues”, explique le pasteur, diplômé de psychologie de l’université de Détroit.
Plus les mois passent, plus les habitants “tombent dans le désespoir et la colère”. “Ils regardent la télévision et les journaux tous les jours, et c’est la peur qu’ils ressentent’. Ils ne font “plus confiance aux autorités”, un sentiment profondément ancré chez eux, déplore le pasteur.
“Nous leur donnons des informations sur un numéro spécial, 24h/24. On leur dit : ‘Si vous avez dû mal à vous en sortir, si vous êtes stressé, anxieux, il ne faut pas attendre, il faut en parler’”, leur dit-il
Le pasteur et sa famille habitent également Flint, mais n’ont jamais bu une seule goutte d’eau du robinet. “Mon père nous a toujours acheté des bouteilles d’eau, alors je continue à faire cela”, confie-t-il. Pour la douche, la famille fait comme tout le monde : “quelques minutes, on se savonne, on se rince, puis on sort pour rester le moins de temps possible sous l’eau”, en attendant que les canalisations soient remplacées.
Depuis septembre 2016, de nouvelles canalisations remplacent petit à petit les vieux tuyaux rouillés par l’eau corrosive de la rivière. Sur Ida Street, dans le sud-ouest de Flint, quelques résidents regardent les pelleteuses creuser la terre de leur jardin. Dubitatifs, ils discutent de la stratégie de la mairie dans le brouhaha des machines.
A la retraite depuis peu, le capitaine Mike Mcdaniel a été appelé à la rescousse par la mairie de Flint. Il est en charge des travaux. “Nous ne savons pas combien de canalisations nous devons remplacer. Près de 30 000 personnes ont un compteur actif, et la moitié a besoin d’un remplacement. Nous pouvons remplacer entre 200 et 300 canalisations par mois, donc si on fait le calcul, ça nous emmène jusqu'en 2017”, indique le directeur.
Mais la lenteur des travaux agace les habitants, et en particulier Karen Weaver, la maire de Flint. Le changement des canalisations ne permet toujours pas d’avoir de l’eau potable dans les robinets.
“Le plus grand obstacle, c’est d’avoir notre destin entre les mains de quelqu’un d’autre. L’Etat fédéral et celui du Michigan gèrent notre argent, et c’est vraiment frustrant, énervant, décevant, car si nous avions l’argent, nous serions intervenus beaucoup plus tôt. C’est la source de notre frustration : cela fait trois ans que la crise a commencé... trois ans ! Et nous avons toujours des filtres et des bouteilles d’eau!”, s’indigne Karen Weaver.
Chaque mois, les foyers paient leurs factures, entre 150 et 200 dollars en moyenne, soit trois fois plus que la moyenne nationale. Ils achètent de l’eau qu’ils ne peuvent plus utiliser, mais qu’ils paient comme si elle était d’une qualité supérieure. Lors d’une réunion mensuelle avec le gouverneur Snyder, toujours en charge de la crise, Mona Hanna-Attisha est présente pour parler du prix de l’eau, en question fin octobre.
“Les habitants devraient avoir l’eau gratuite pour les dix prochaines années pour tout ce qu’ils ont vécu”, lance à l’assemblée la pédiatre avec défi. Pour le gouverneur et la municipalité, il n’est tout simplement pas possible faire marcher le système hydrologique sans revenu.
Trachelle Young n’a qu’une seule idée en tête : faire payer les responsables. Le combat pour la justice ne fait que commencer. Pour l’avocate, l’État du Michigan n’a qu’une réponse : “oui on a semé la pagaille, nous nous sommes trompés, mais nous sommes le gouvernement, nous étions de bonne foi et vous ne pouvez pas nous poursuivre en justice”.
“Les habitants ont un sentiment d’injustice car le gouvernement déclare qu’il n’est pas responsables de ses mensonges ou d’avoir déclaré que l’eau était potable alors que l’on envoyait des bouteilles d’eau aux fonctionnaires”, rappelle l’avocate, plus frustrée que jamais face aux réponses du gouverneur.
Melissa Mays, qui est à la tête de deux actions collectives, rappelle que le groupe vise “l’État du Michigan, car ce sont eux les responsables. Des employés ont été inculpés, ce qui prouve ce que nous disons”, après avoir été “accusée de mythomanie” pendant de longs mois avant que le scandale n’éclate au grand jour, rappelle-t-elle.
“On espère pouvoir faire changer les appareils électroménagers détruit par l’eau, leur donner de nouvelles canalisations, de l’argent pour continuer à vivre et à s’en remettre” espère-t-elle, précisant que “personne ne va s’enrichir” de la crise, du côté des habitants au moins.
En octobre 2016, de nouveaux scandales salissent le gouvernement du Michigan. Le gouverneur Rick Snyder est accusé d’avoir acheté des filtres à eau pour un prix unitaire plus élevé que celui signé par l’État fédéral en janvier de la même année. “C’est amusant de voir qu’un État qui a repris la gestion de Flint pour irresponsabilité financière, fait quelque chose comme ça et gâche de l’argent, alors qu’ici, on compte chaque centime”, se lamente la maire de Flint.
Chaque révélation est un coup dur pour la population. “Les gens commencent à faiblir face à l’usure, certains ont juste abandonné et boivent au robinet”, raconte le révérend Dawson, alors que l’eau n’est toujours pas consommable. C’est le coeur du problème depuis que la Garde nationale a quitté la ville : les seules sources d’eau potable se trouvent parfois à plusieurs kilomètres.
“Certains n’ont pas de voitures, d’autres sont trop âgés et n’ont personne pour les aider”, se désole Melissa Mays, qui est également bénévole pour faire du porte à porte et amener de l’eau aux personnes isolées.
En décembre, un juge fédéral a lancé une action en justice pour forcer le gouvernement à trouver une solution pour livrer des bouteilles d’eau chez eux. L’État du Michigan a fait immédiatement appel. Car l’argent commence à manquer cruellement. La ville de Flint attend toujours les 170 millions de dollars de fonds promis par Washington D.C..
Pour Melissa Mays, ce manque de volonté de la part de l’État et la lenteur du processus montrent une seule chose : “La ville de Flint n’est plus une urgence” mais l’eau de la colère gronde toujours.
Le procureur general du Michigan, Bill Schuette, met en examen six autres personnes employées ou anciennes employées de l'État du Michigan.
Liane Shekter-Smith est l’ancienne directrice du département de la qualité de l’environnement. Deux de ses employés, Adam Rosenthal et Patrick Cook et elle-même, sont accusés d’avoir induit en erreur la municipalité de Flint.
Les trois autres accusés font partie du département des ressources humaines et de la santé du Michigan. Le directeur de la section Enfant, Nancy Peeler, et son assistant de direction Robert Scott, ainsi que l'épidémiologiste Corinne Miller, sont accusés d’avoir failli à publier un rapport qui montrait des niveaux élevés de plomb dans le sang des enfants.
L’aide fédérale s'arrête et l'État du Michigan prend en charge l’achat des bouteilles d’eau et les filtres. Il est annoncé que la crise a déjà coûté 395 millions de dollars.
La seconde phase de remplacement des tuyaux d'adduction d’eau démarre dans la ville.
Le Congrès américain a validé une loi qui débloquerait 10 milliards de dollars pour des projets concernant les systèmes hydrauliques désuets. Elle doit ensuite être votée par la Chambre des Représentants.
Avant même que la maire de Flint ne puisse passer à l’action et poursuivre l’Etat en justice, l’Etat du Michigan met les mécanismes en place pour que cette procédure ne soit plus possible.
La Chambre des Représentants vote la loi sur l’aide pour les infrastructures hydrauliques, dont 170 millions pour Flint. La loi n’est pas encore ratifiée.
La Cour fédérale exige que l’Etat du Michigan fournisse des bouteilles d’eau à tous les habitants. Le gouvernement a fait appel.
Un an après l’annonce de l'état d’urgence par Karen Weaver, l’eau n’est toujours pas potable pour l’ensemble de la population de Flint.