L’épidémie qui s’est propagée en Afrique de l’Ouest de fin 2013 à 2016 est la plus grave jamais enregistrée depuis que le virus Ebola a été identifié en 1976. Plus de 28.000 personnes ont été contaminées quasi exclusivement en Guinée, au Liberia et en Sierra Léone. Plus de 11.000 ont trouvé la mort selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Trois ans après le début de cette crise sanitaire sans précédent, comment vivent les survivants ? Où en est la recherche scientifique ? Le monde est-il prêt à faire face à la prochaine épidémie ? Dans ce web documentaire, VOA Afrique a mené l’enquête en Guinée et en Europe auprès de ceux qui étaient en première ligne de la lutte contre Ebola.
Le patient zéro de Méliandou
L’histoire retiendra son nom, Emile Ouamouno, et son âge, 2 ans. Cet enfant guinéen est considéré comme le patient zéro de ce qui va devenir la plus grave épidémie d’Ebola de l’histoire. Sa famille et tout le village de Méliandou ne le savent pas encore. C’est Augustin Mamadouno, chef du poste médical dans cette partie de la préfecture de Guéckédou, qui examine l’enfant malade.
“Ils étaient venus pour une simple consultation car l’enfant avait beaucoup de fièvre. On l’a traité pour le paludisme, mais au bout de trois jours, l’enfant a rendu l’âme“, se souvient M.Mamadouno au micro de VOA Afrique.
En effet, Emile meurt le 6 décembre 2013. Quelques jours plus tard, c’est au tour de sa grande sœur Philomène. Les symptômes sont les mêmes : fièvre, nausées, frissons et des hémorragies internes et externes. Dans le village on s’interroge, Qui a jeté un sort sur la famille Ouamouno ?
La panique gagne le village quand le responsable du poste médical ordonne l’évacuation de la grand-mère d’Emile. Deux jours après son admission à l’hôpital, la vieille dame meurt sous les yeux de ses trois filles.
Trois ans après cette tragédie, VOA Afrique a retrouvé le père du petit Emile. Etienne Ouamouno se souvient qu’avant le décès de son fils, Emile “a passé quelques jours de traitement chez le guérisseur du village en compagnie d’une dame malade en provenance de la Sierra Léone. C’est parce que j'aimais mon fils que je ne voulais pas le voir aux côtés de cette dame malade.“.
Aujourd’hui, son père est persuadé que cette dame est à l’origine de la contamination.
Une crise sanitaire hors de contrôle
Avec 28 636 cas et 11 315 morts (bilan en janvier 2016, selon l’OMS), les spécialistes du virus tueur se demandent encore comment a-t-on pu en arriver là. Sur les bords du Lac Léman, à Genève, Joanne Liu se souvient parfaitement de ce jour de mars 2014 où MSF publia un communiqué rageur pour demander au monde d’agir face à une épidémie d’Ebola “d’une magnitude sans précèdent.“
Deux ans plus tard, la présidente de l’ONG se confie à VOA Afrique : “Jusque-là, la plus grande épidémie d’Ebola jamais connue avait été celle de l’an 2000 en Ouganda où 425 personnes avaient été infectées. On a dépassé ces chiffres dès les premières semaines de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest. C’était le premier signal que quelque chose de différent se passait. MSF est une organisation qui travaille sur la fièvre hémorragique depuis des années et qui en tire un savoir-faire que peu d’autres organisations ont. Je ne les blâme pas. Même si la maladie a été découverte en 1976, il n’y avait ni traitement spécifique, ni vaccin qui ait passé tous les essais cliniques, ni de test rapide de dépistage. Qui veut donc se soucier de patients dont vous savez qu’au moins 50 % vont mourir ? “
Michel Van Herp lui se rappelle d’une “constante indignation.“Pour ce médecin épidémiologiste, qui a couvert de nombreuses épidémies d’Ebola pour MSF, les enjeux financiers dans ces pays miniers ont d’abord pris le pas sur la prise de conscience de l’ampleur de cette épidémie. “On aurait pu mieux faire et arrêter cette épidémie beaucoup plus tôt. Mais, il ne fallait pas effrayer les investisseurs étrangers.“
L’Organisation mondiale de la santé a été sévèrement critiquée pour son manque de réactivité face à cette épidémie sans précèdent. Mais “l’OMS n’est pas une agence opérationnelle“, insiste Bruce Aylward. Cet épidémiologiste canadien est nommé en urgence, en août 2014, à la tête de la coordination de la réponse de l’OMS face à la menace Ebola.
A VOA Afrique, il exprime son horreur suite au terrible bilan de cette épidémie : “Cela n’aurait jamais dû arriver car c’est un virus qu’on savait arrêter. Cependant, c’est facile de blâmer les uns les autres. Arrêter Ebola requiert aussi un changement de comportement de la part des populations et cela n’est pas quelque chose qui se fait du jour au lendemain. “
Le poids des traditions concernant les rituels funéraires a longtemps constitué un frein lors de cette épidémie. “Les populations ont farouchement résisté à l’interdiction de laver les cadavres à la main. Cela a conduit à des résistances et des dissimulations de corps“, explique Alain Epelboin
Pour ce médecin-anthropologue, consultant pour l'OMS,“la difficulté avec le virus Ebola, c’est que les populations mettent en cause des agressions maléfiques, avec volonté de capter le sang et la substance vitale des gens. Cela a abouti, dès le début de l’épidémie, à une mise en cause de ceux qui venaient aider. Les humanitaires étaient accusés d’être à l’origine de la propagation du virus pour gagner de l’argent ou prendre les organes des malades.“
A la méconnaissance d’Ebola dans les communautés en Afrique de l’Ouest s’est ajouté un autre défi : la mobilité accrue des populations par rapport aux précédentes épidémies.
“Au cours des précédentes flambées, Ebola était majoritairement confiné à des zones rurales éloignées, avec quelques cas isolés détectés dans les villes.“ Cependant, comme l’explique l’OMS, “en Afrique de l’Ouest, à l’inverse, les villes, dont les capitales des trois pays, ont été les épicentres de la transmission intense du virus. Les flambées en Afrique de l’Ouest ont montré la rapidité avec laquelle le virus pouvait se déplacer une fois qu’il avait atteint des zones urbaines et des bidonvilles fortement peuplés.“
La difficile réinsertion des survivants d’Ebola
Un an après la fin officielle de l’épidémie d’Ebola au Liberia et en Afrique de l’Ouest, comment vivent les survivants ?
Pour le savoir, VOA Afrique s’est rendu à Guéckédou, N'Zérékoré ou Conakry en Guinée pour les rencontrer.
Les guéris d’Ebola n'en ont pas fini avec les problèmes de santé. À Guéckedou, ils sont nombreux à se plaindre d’une fatigue constante. Saa Sabass ne peut plus autant cultiver son champ comme avant. Le président des guéris d’Ebola de Guéckedou doit faire de nombreuses pauses lorsqu’il laboure son champ.
Au-delà des conséquences physiques, c’est surtout la stigmatisation qui perturbe la vie des survivants.“Ils disent qu’on a encore des traces du virus encore en nous“, témoigne Saa Sabass Sékou Kondiano était commerçant de tomber malade. Il a contaminé sa femme lors d’un rapport sexuel. Depuis leur sortie du centre de traitement, son épouse et lui mènent une vie difficile.
Rose Kondiano, adolescente de 13 ans, dit ne ressentir aucune différence vis-à-vis de ses amis depuis l’épidémie. Cette jeune survivante raconte son histoire à VOA Afrique
Après l’épidémie d’Ebola en Guinée, la prudence semble la règle dans les services sanitaires. Hawa Madi Camara, surveillant général à l’hôpital préfectoral de Guéckédou, assure qu’Ebola ne pourrait plus faire autant de victimes. Il ajoute que le personnel est formé et préparé à toute éventuelle épidémie.