En chiffres

Les coups d’État en Afrique

Suite aux récents coups d’État survenus en Afrique, VOA se penche sur le phénomène.

Illustration of a statue of a political figure being pulled down as another statue rises up.

Le continent africain a connu une augmentation significative des coups d’État ces dix-huit derniers mois au cours desquels des militaires ont pris le pouvoir au Burkina Faso, au Soudan, en Guinée, au Tchad et au Mali. Après le putsch au Soudan en octobre 2021, le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres a parlé d’une « épidémie » de coups d’État en évoquant ces événements en Afrique et le renversement du pouvoir en Birmanie en février 2021. Il a dénoncé un « environnement dans lequel certains chefs militaires ont le sentiment de bénéficier d’une impunité totale » et « peuvent faire ce qu’ils veulent car rien ne leur arrivera ».

Les coups d’État en Afrique étaient en déclin ces deux dernières décennies. Sur la période 2011-2021, les chercheurs américains Jonathan Powell (University of Central Florida) et Clayton Thyne (University of Kentucky) ont comptabilisé moins d’un coup d’État réussi par an sur le continent. Leurs conclusions sont disponibles sur leur site web Arrested Dictatorship.

Les dernières prises de pouvoir en Afrique ont suscité des inquiétudes quant aux possibles démantèlements des avancées démocratiques réalisées dans la région.

Coups d’État par an en Afrique

Sélectionnez un coup d’État pour en savoir plus.

Coups d'État réussis
Coups d'État ratés

Sources : Powell et Thyne ; Cline Center, University of l’Illinois ; étude de VOA


Comparaison avec le reste du monde

Sur les 486 coups d’État réussis ou ratés depuis 1950, 214 – dont 106 réussis – ont eu lieu en Afrique, la région la plus touchée, selon les données de Jonathan Powell et Clayton Thyne.

Région Tentatives de coups d'État Réussis Ratés
Afrique 214 106 108
Amérique latine 146 70 76
Asie de l'Est 49 27 22
Moyen Orient 44 21 23
Europe 17 8 9
Asie du Sud 16 10 6
Total 486 242 244

Un grand nombre des conditions normalement associées aux coups d’État sont présentes en Afrique, explique Jonathan Powell.

« Les coups d’État sont de plus en plus limités aux pays les plus pauvres du monde, et la récente vague de coups d’État s’inscrit dans ce contexte », ajoute-t-il.

Les PIB du Burkina Faso, de la Guinée, du Mali et du Tchad étaient en 2020 tous inférieurs à 20 milliards de dollars, selon une estimation de la Banque mondiale, tandis que celui du Soudan dépassait tout juste les 21 milliards. En comparaison, le PIB des États-Unis, le pays le plus riche du monde, s’élevait en 2020 à 20 000 milliards de dollars.

Selon Jonathan Powell, les pays qui subissent le terrorisme et qui font face à des insurrections sont également les plus susceptibles de connaître des coups d’État, de même que les nations dont les dirigeants manquent de légitimité auprès de la population ou des forces armées.

Le chercheur estime que si les coups d’État ne sont plus vus comme une menace dans la plupart des pays africains, les principaux facteurs menant aux coups d’État sont encore très présent dans la région du Sahel, à savoir au Burkina Faso, au Mali, au Tchad et au Soudan.


Les pays africains

Selon les données recueillies par Jonathan Powell et Clayton Thyne, 45 des 54 pays africains ont subi au moins une tentative de coup d’État depuis 1950. Si l’on se concentre uniquement sur les coups d’État réussis, c’est-à-dire ceux dont les auteurs sont restés au pouvoir pendant au moins une semaine, ce nombre tombe à 36, soit les deux tiers des pays d’Afrique.

Qu’est-ce qu’un coup d’État ?

Un coup d’État est une « tentative illégale et manifeste de l’armée ou de l’élite au sein de l’appareil d’État de renverser l’exécutif en place », précisent Jonathan Powell et Clayton Thyne dans un article de 2011 publié dans le Journal of Peace Research. Les chercheurs considèrent qu’après une semaine, on peut considérer le coup d’État comme réussi.

Selon cette définition, la cible d’un coup d’État est un dirigeant en exercice, tandis que les auteurs ont des liens formels avec le gouvernement. Cela exclu donc les mouvements qui tentent de renverser l’ensemble d’un gouvernement et qui sont menés par des personnes non liées au pouvoir, telles que les rébellions ou les manifestations de masse.

Certaines définitions ne prennent en compte que les coups d’État menés par des militaires, ce qui, selon Jonathan Powell et Clayton Thyne, donne probablement plus d’importance aux coups d’État réussis dans les résultats.

« L’impulsion initiale d’un coup d’État implique souvent uniquement des membres civils du gouvernement, les militaires ne jouent qu’un rôle ultérieur en décidant de la réussite ou non du putsch », expliquent les chercheurs. Et de citer l’exemple de l’échec du coup d’État mené en 1962 par le Premier ministre sénégalais Mamadou Dia faute de soutien de l’armée.

Les auteurs du coup d’État doivent également se trouver « au sein de l’appareil d’État », ce qui exclut les prises de pouvoir principalement menées par des gouvernements étrangers. Jonathan Powell et Clayton Thyne citent l’exemple de la chute du président ougandais Idi Amin Dada en 1979 précipitée par l’armée tanzanienne, estimant que cela « ne constitue pas un coup d’État car les puissances étrangères en étaient les principaux acteurs ».



Les pays ayant subi le plus de coups d’État

Le Soudan est le pays africain ayant connu le plus de coups d’État – réussis ou non – depuis 1950, soit 17, selon les données de Jonathan Powell et Clayton Thyne. Parmi ces tentatives de prise de pouvoir, six ont réussi, dont la plus récente en octobre. Le Burkina Faso a connu moins de tentatives sur la même période, mais huit d’entre elles ont réussi, un record en Afrique. Outre le putsch de janvier, des coups d’État ont été menés à bien au Burkina Faso en 1966, 1974, 1980, 1982, 1983, 1987 et 2014. Un coup d’État a par ailleurs échoué en 2015.

Le Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique, a une longue histoire de coups d’État depuis son indépendance en 1960 : huit tentatives, dont six couronnées de succès. Mais depuis 1999, le transfert de pouvoir s’est effectué via des élections démocratiques, ce qui a contribué à une plus grande stabilité en Afrique de l’Ouest et sur l’ensemble du continent.

Coups d’État par pays depuis 1950

Coups d'État réussis
Total des tentatives


Quels sont les facteurs favorisant les coups d’État ?

En 2014, le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine a dénoncé ​​ les « insuffisances en termes de gouvernance », mais aussi « la cupidité, l’égoïsme, une mauvaise gestion de la diversité et des opportunités, la marginalisation, les abus des droits humains, le refus d’accepter la défaite électorale, la manipulation des constitutions, ainsi que la révision anticonstitutionnelle des constitutions en faveur d’intérêts restreints et la corruption » comme fréquentes causes des changements anticonstitutionnels de gouvernement.

Selon les études des chercheurs américains Aaron Belkin et Evan Schofer, la solidité de la société civile d’un pays, la légitimité du gouvernement vis-à-vis de la population et le passé du pays en termes de putschs sont des facteurs prédictifs importants des coups d’État.

Jonathan Powell explique qu’un récent coup d’État peut « signaler une rupture dans la continuité politique, un changement dans la dynamique du pouvoir qui peut susciter de futurs contre-coups » en raison de rivalités au sein de l’armée. Le chercheur considère que certains pays tombent dans ce que l’on appelle une « spirale de coups d’État » qui se succédent rapidement. C’est le cas du Mali, où quatre tentatives de coup d’État ont eu lieu au cours de la dernière décennie, alors que le pays n’en avait pas connu au cours des vingt années précédentes.

Portrait of Assimi Goita. (Illustration by Brian Williamson | VOA News)

Assimi Goita

Au Mali, lors du coup d’État qu’il a mené en 2020, Assimi Goita s’est justifié en mettant en avant le mécontentement populaire généralisé à l’égard du pouvoir. Cependant, lorsqu’en mai 2021, moins d’un an plus tard, il a renversé le gouvernement de transition qu’il avait contribué à mettre en place, il a alors invoqué un remaniement ministériel qui excluait deux chefs militaires clés. Assimi Goita a déclaré que cette décision constituait une violation des conditions préalables à l’installation du nouveau gouvernement. Le président français Emmanuel Macron a quant à lui dénoncé un « coup d’État dans le coup d’État ».

En Guinée, les putschistes ont déclaré que la corruption et une économie défaillante étaient à l’origine de leur prise de pouvoir en septembre 2021, mais aussi le fait que le président déchu Alpha Condé avait modifié la constitution pour pouvoir faire un troisième mandat.

Les pays les plus pauvres et ceux où la démocratie est fragile sont historiquement plus touchés par les putschs. Quinze des vingt pays en tête de l’Index de fragilité des États créé par le Fund for Peace se trouvent en Afrique. Parmi ceux-ci, douze ont subi au moins un coup d’État réussi, dont la Somalie, la RDC, la Centrafrique, le Tchad, le Soudan et le Zimbabwe. À l’inverse, aucun coup d’État n’a été mené à bien dans les pays plus riches et dotés d’institutions solides, comme l’Afrique du Sud et le Botswana.



Taux de réussite des coups d’État

Les recherches de Jonathan Powell et Clayton Thyne montrent que les coups d’État de la dernière décennie ont un taux de réussite bien plus élevé que ceux des décennies précédentes. Ainsi, les putschs sont de moins en moins fréquents, mais ils sont de plus en plus efficaces.

DécennieTotal des tentatives
de coups d'État
RéussisTaux de succès

La plupart des coups d’État réussis en Afrique ont eu lieu entre 1946 et 1991, pendant la guerre froide, une période d’intense rivalité entre les États-Unis et l’Union soviétique. Pas moins de sept putschs ont été menés en 1966, et avec cinq coups d’État, 1980 a été la deuxième année la plus tumultueuse.

« Durant la guerre froide en particulier, il y avait de fait une règle non écrite selon laquelle si vous contrôliez la capitale, vous étiez vu comme légitime », explique Jonathan Powell. Après cette période, et surtout depuis 2000, la communauté internationale a été beaucoup moins tolérante vis-à-vis des coups d’État, ajoute-t-il. En conséquence, les putschistes sont plus susceptibles d’attendre des circonstances où « le statu quo lui-même est calamiteux » ou lorsqu’ils pensent pouvoir faire face à toutes les réactions hostiles à un coup d’État, et notamment aux sanctions.


Chronologie des coups d'État


Dirigeants destitués: Afrique

1952

23/07/1952

Roi Farouk I

1954

27/02/1954

Président Muhammad Naguib

1958

17/11/1958

Premier ministre Abdalla Khalil

1960

14/09/1960

Premier ministre Patrice Lumumba

1963

13/01/1963

Président Sylvanus Olympio

1963

15/08/1963

Président Fulbert Youlou

1963

28/10/1963

Président Hubert Maga

1965

19/06/1965

Président Ahmed Ben Bella

1965

25/11/1965

Président Joseph Kasavubu

1965

29/11/1965

Président Sourou-Migan Apithy

1965

22/12/1965

Président Tahirou Congacou

1966

1/01/1966

Président David Dacko

1966

3/01/1966

Président Maurice Yaméogo

1966

15/01/1966

Premier ministre Abubakar Tafawa Balewa

1966

24/02/1966

Président Kwame Nkrumah

1966

8/07/1966

Roi Mwambutsa IV

1966

29/07/1966

Major général Johnson Aguiyi-Ironsi

1966

28/11/1966

Roi Ntare V

1967

13/01/1967

Président Nicolas Grunitzky

1967

23/03/1967

David Lansana

1967

17/12/1967

Président Christophe Soglo

1968

18/04/1968

Andrew Juxon-Smith

1968

4/09/1968

Président Alphonse Massamba-Débat

1968

19/11/1968

Président Modibo Keïta

1969

25/05/1969

Premier ministre Mohammed Ahmed Mahgoub

1969

1/09/1969

Roi Idris I

1969

21/10/1969

Président Abdirashid Shermarke

1969

10/12/1969

Président Émile Derlin Zinsou

1971

25/01/1971

Président Milton Obote

1972

13/01/1972

Premier ministre Kofi Abrefa Busia

1972

26/10/1972

Président Justin Ahomadégbé-Tomêtin

1973

5/07/1973

Président Grégoire Kayibanda

1974

8/02/1974

Prime Minister Gerard Kango Ouedraogo

1974

15/04/1974

Président Hamani Diori

1974

12/09/1974

Empereur Haïlé Sélassié

1975

13/04/1975

Président François Tombalbaye

1975

29/07/1975

Yakubu Gowon

1975

3/08/1975

Président Ahmed Abdallah

1976

1/11/1976

Président Michel Micombero

1977

3/02/1977

Tafari Benti

1977

5/06/1977

Président James Mancham

1978

12/05/1978

Président Ali Soilih

1978

5/07/1978

Ignatius Kutu Acheampong

1978

10/07/1978

Président Moktar Ould Daddah

1979

4/06/1979

Fred Akuffo

1979

3/08/1979

Président Francisco Macías Nguema

1980

4/01/1980

Président Mohamed Mahmoud Ould Louly

1980

12/04/1980

Président William Tolbert

1980

11/05/1980

Président Godfrey Binaisa

1980

15/11/1980

Président Luís Cabral

1980

25/11/1980

Président Sangoulé Lamizana

1981

1/09/1981

Président David Dacko

1981

31/12/1981

Président Hilla Limann

1982

7/11/1982

Président Saye Zerbo

1983

4/08/1983

Président Jean-Baptiste Ouédraogo

1983

10/08/1983

Reine régente Dzeliwe

1983

31/12/1983

Président Shehu Shagari

1984

3/04/1984

Premier ministre Louis Lansana Beavogui

1984

12/12/1984

Président Mohamed Khouna Ould Haidalla

1985

6/04/1985

Président Jaafar Nimeiri

1985

27/07/1985

Président Milton Obote

1985

27/08/1985

Muhammadu Buhari

1986

20/01/1986

Premier ministre Leabua Jonathan

1987

3/09/1987

Président Jean-Baptiste Bagaza

1987

15/10/1987

Président Thomas Sankara

1987

7/11/1987

Président Habib Bourguiba

1989

30/06/1989

Premier ministre Sadiq al-Mahdi

1989

26/11/1989

Président Ahmed Abdallah

1991

26/03/1991

Président Moussa Traoré

1991

30/04/1991

Premier ministre Justin Lekhanya

1992

11/01/1992

Président Chadli Bendjedid

1992

30/04/1992

Président Joseph Saidu Momoh

1993

17/11/1993

Président Ernest Shonekan

1994

7/04/1994

Président Juvénal Habyarimana

1994

23/07/1994

Président Dawda Jawara

1994

17/08/1994

Premier ministre Ntsu Mokhehle

1996

16/01/1996

Valentine Strasser

1996

27/01/1996

Président Mahamane Ousmane

1996

25/07/1996

Président Sylvestre Ntibantunganya

1997

25/05/1997

Président Ahmed Tejan Kabbah

1999

9/04/1999

Président Ibrahim Bare Mainassar

1999

30/04/1999

Président Tadjidine Ben Saïd Massounde

1999

7/05/1999

Président João Bernardo Vieira

1999

24/12/1999

Président Henri Konan Bédié

2003

15/03/2003

Président Ange-Félix Patassé

2003

16/07/2003

Président Fradique de Menezes

2003

14/09/2003

Président Kumba Ialá

2005

3/08/2005

Président Maaouya Ould Sid'Ahmed Taya

2008

6/08/2008

Président Sidi Ould Cheikh Abdallahi

2009

17/03/2009

Président Marc Ravalomanana

2010

18/02/2010

Président Mamadou Tandja

2011

11/02/2011

Président Hosni Mubarak

2012

22/03/2012

Président Amadou Toumani Toure

2012

12/04/2012

Premier ministre Carlos Gomes Junior

2013

3/07/2013

Président Mohamed Morsi

2014

30/10/2014

Blaise Compaoré

2017

15/11/2017

Président Robert Mugabe

2019

11/04/2019

Président Omar al-Bashir

2020

18/08/2020

Président Ibrahim Boubacar Keita

2021

21/05/2021

Président Bah Ndaw

2021

5/09/2021

Président Alpha Condé

2021

25/10/2021

Premier ministre Abdalla Hamdok

2022

23/01/2022

Président Roch Marc Christian Kaboré

Quelles perspectives ?

En octobre, le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres a cité trois raisons principales expliquant l’augmentation des coups d’État en 2021 : les fortes divisions géopolitiques entre les pays, l’impact socio-économique du Covid-19, et l’incapacité du Conseil de sécurité à prendre des mesures fortes face aux putschs. À titre d’exemple, fin 2021, la Russie et la Chine, fortes de leur droit de veto, ont empêché le Conseil de sécurité de sanctionner les putschistes maliens, après que ces derniers ont retardé les élections devant ramener les civils au pouvoir.

Dans les pays les plus propices aux coups d’État, la pandémie de Covid-19 a mis à rude épreuve des budgets déjà serrés et a entraîné des restrictions supplémentaires imposées à des populations déjà sceptiques à l’égard de leur gouvernement. De plus, cette pandémie a également eu un impact sur les grandes puissances, qui prennent souvent des mesures de prévention des coups d’État, ce qui pourrait expliquer le nombre élevé de putschs ces deux dernières années.

Même s’il pense qu’il serait surprenant que les coups d’État se poursuivent au même rythme, Jonathan Powell se dit « certain que les années à venir verront des coups d’État en plus grand nombre que ce à quoi nous nous étions habitués. »

Et d’ajouter : « Les causes sous-jacentes des coups d’État existent toujours et s’aggravent. Avant que ces dynamiques internes ne s’améliorent, ou que les acteurs régionaux ou mondiaux apportent une solution, il n’y a aucune raison de penser que les coups d’État vont disparaître. »

Article de Megan Duzor
Illustrations et graphiques de Brian Williamson
Révisions par Amy Reifenrath, Sharon Shahid, Salem Solomon et Carol Guensburg
Traduction de Samuel Tribollet

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