Enfant noir, famille blanche : histoires d'adoptions
Novembre 2019
Aux Etats-Unis, des dizaines de milliers d’enfants sont adoptés chaque année. Ces adoptions sont, la plupart du temps, nationales - les enfants sont américains - mais 25% des enfants viennent de pays étrangers, d’Asie et du continent africain en majorité. L’arrivée d’un enfant dans une famille est toujours un moment particulier. Celle d’un enfant adopté et d’une origine ethnique différente peut ajouter des difficultés supplémentaires.
Novembre est le mois national de sensibilisation à l’adoption aux Etats-Unis. A cette occasion, VOA Afrique se penche sur l’expérience des enfants noirs adoptés. Le nombre d’enfants de couleur qui ont besoin d’être adoptés aux USA est beaucoup plus important que celui d’enfants blancs. Ces enfants noirs sont souvent adoptés par des familles blanches.
Quels sont les défis rencontrés par ces parents et ces enfants lors de la constitution d'une famille transraciale ? Que ressentent ces enfants adoptés quand ils grandissent dans des communautés où la diversité raciale est faible ?
Claire Morin-Gibourg, journaliste pour la division Afrique de la Voix de l’Amérique explore ces questions dans une série de reportages.
Chapitre 1: Les défis ‘Trouver quelqu’un qui me ressemble et qui pourra me comprendre’
ALBUQUERQUE, Nouveau-Mexique — Pendant plus de 20 ans, Megan Walsh a conseillé et aidé des familles dans leurs démarches d’adoption. Elle a constaté que les difficultés augmentent lorsque les parents et leur enfant sont de différentes origines ethniques.
« À 10 ans, il commence juste à remarquer que les gens nous regardent dans la rue, que nous ne ressemblons pas à une famille classique, qu’il n’y a pas beaucoup d’enfants noirs dans notre quartier. »
– Erika Tode, évoquant son fils Jayden
«Beaucoup de familles adoptives éprouvent des difficultés lorsqu'elles adoptent des enfants d’une autre couleur, peut-être parce qu’elles n’arrivent pas à sortir de leur zone de confort», affirme-t-elle. Les parents doivent reconnaître qu'ils demandent à leur enfant d'être la plupart du temps “en minorité” dans leur propre famille, mais aussi dans leur environnement proche, souligne cette spécialiste des adoptions.
Pendant plus de 20 ans, Megan Walsh a été la directrice de La Familia-Namaste*. Cette agence d'adoption située à Albuquerque, la capitale de l’Etat américain du Nouveau Mexique, place environ 80 enfants par an dans de nouvelles familles. Un tiers de ses placements sont transraciaux.
À Albuquerque, Megan a aidé la famille Hill-Schroeder, dont la fille aînée, Lizelle, 16 ans, née en Afrique du Sud, se sent parfois très différente.
« Quand j’arrive dans un nouvel endroit, mon premier réflexe est de vérifier si une autre personne noire est dans la salle… Quelqu’un qui me ressemble et qui pourra me comprendre…”
Les parents de Lizelle sont blancs tous les deux et, comme l’a conseillé Megan Walsh, soucieux de respecter les différences de leurs enfants tout en développant leur identité noire.
C’est ainsi que Lizelle et sa maman Deborah ont rencontré Neema Hanifa, la propriétaire de Kamaria Creations, l’un des rares salons de beauté afro d’Albuquerque.
«La plupart des familles (transraciales ndlr) viennent d’abord pour les soins des cheveux. C’est leur première préoccupation », explique Neema. « Mais comment vais-je arriver à coiffer cet enfant ? me disent-ils souvent », raconte-t-elle en souriant…
« Mais en réalité, c’est beaucoup profond” », ajoute-t-elle. « Ça touche à la personnalité, à l’estime de soi… Mais aussi à la façon dont ces enfants ressentent le fait de vivre dans un endroit comme le Nouveau-Mexique, où si peu de personnes sont d'ascendance africaine ».
Selon le dernier recensement, moins de 3% des habitant du Nouveau-Mexique sont noirs ou africains-américains.
C’est aussi ce qu’a vécu Deborah Hill, la mère de Lizelle et de Levi, son fils cadet adopté à Albuquerque de parents biologiques haïtiens et kényans. « En temps que maman blanche, j’ai beaucoup appris… La façon de se coiffer, de se tisser les cheveux, cela peut être une vraie prise de position, parfois politique ! » Deborah s’est beaucoup documenté et a regardé beaucoup de vidéos pour tenter de maîtriser le soin et certains styles des cheveux crépus… « A un moment, j’avais des milliers de perles différentes à la maison », se souvient-elle en riant !
Deborah est aussi très liée à la communauté noire, que ce soit « ici ou dans d’autres endroits où nous avons vécu, y compris en Afrique », précise-t-elle. Deborah et son mari, George Schroeder, estiment que leurs enfants ne doivent « pas grandir dans un environnement entièrement blanc, car cela ne les aidera pas à l’âge adulte. »
Pour Megan Walsh, les enfants noirs adoptés dans des familles blanches doivent bénéficier d’un environnement où ils puissent se reconnaître : « les parents doivent privilégier les personnes de couleur, qu’il s’agisse de professeur, de pédiatre ou dentiste, ou de babysitter ! » particulièrement s’ils vivent dans des quartiers ou des villes avec trop peu de diversité.
« Les parents doivent aussi diversifier leur cercle d’amis, que ce soit avec des personnes qui partagent l’ethnie de leur enfant mais aussi des personnes d’autres origines », précise Megan Walsh. « Les enfants ont besoin de savoir que leurs parents apprécient et valorisent les personnes d'autres cultures. »
Apprendre à valoriser la diversité et à ne pas avoir peur de ce que l’on ne connaît pas est déterminant ajoute Megan Walsh. « Les personnes qui affirment qu’ils ne ‘voient pas’ la couleur de leur enfant ne leur rendent pas service. Car ils ne leur apprennent pas qu’ils sont formidables comme ils sont ! Et que leur rôle dans ce monde, dans notre société, est important et vital pour tous. »
* Depuis ce reportage, Megan Walsh a quitté Albuquerque pour se raprocher de sa famille. Elle travaille désormais en tant que spécialiste de la santé comportementale dans une clinique de thérapie pédiatrique de l’état de Washington.
Chapitre 2: Quelle identité ? L’enfant noir qui ne voulait pas être noir
SEATTLE — Sur scène, dans un décor épuré, Chad présente un one-man show intimiste… « J'étais ce garçon noir qui ne voulait pas être noir... Les Noirs m'ont toujours fait peur », déclare-t-il dans un rire nerveux.
A plus de 40 ans, Chad Goller-Sojourner revient sur ses blessures d’enfance et ses sentiments de déchirure intérieure.
Des sentiments que depuis il utilise, non seulement dans ses spectacles, mais aussi pour conseiller les familles adoptives transraciales qu’il coache. Son objectif : aider les enfants adoptés à construire leurs propres identités à cheval entre plusieurs mondes.
« J’étais ce garçon noir qui ne voulait pas être noir. […] Je me suis identifié à mon entourage blanc par opposition aux Noirs, que je voyais à la télé ou que je ne connaissais pas. »
– Chad Goller-Sojourner, coach pour familles transraciales
Chad Goller a été adopté à l'âge de 13 mois par un couple blanc de Tacoma, dans l'État de Washington, dans le Nord-ouest des États-Unis. « J’ai été élevé comme un enfant blanc, personne n’était noir autour de moi », insiste-t-il alors que son frère aîné, adopté comme lui, est un métis à la peau très claire et que sa sœur est originaire des îles du Pacifique.
Il se rappelle des nombreux efforts de ses parents pour une meilleure intégration de leurs enfants : « nous avons déménagé en Afrique pendant quelques années. Et à notre retour aux États-Unis, mes parents ont choisi l’école qui avait le plus de diversité parmi les élèves », se souvient-il.
Mais le verdict de Chad est sans appel : rien n’a pu annihiler ce qu’il qualifie de ‘pouvoir de la blancheur’.
Aujourd’hui conseiller pour familles transraciales, Chad Goller-Sojourner insiste sur le fait que les parents « ont non seulement le devoir de préparer leur enfant au monde dans lequel ils vivent, mais surtout au monde dans lequel ils vieilliront. »
Il est indispensable de comprendre et de se rappeler que, même élevés dans des quartiers blancs chics dans leur jeunesse, ces enfants noirs pourront être perçu comme une menace, rappelle Chad. « Ces enfants pourront faire peur dans ces mêmes quartiers dès qu’ils auront grandi ».
C’est le thème qu’explore un de ses spectacles autobiographiques : « Rouler dans des voitures avec des Noirs et autres actes. » Un autre de ses one-man shows explore ses efforts pour être accepté.
Pour aider les enfants adoptés à mieux se définir eux-mêmes, Chad exhorte leurs parents à chercher et à garder tout lien existant entre l’enfant et ses parents biologiques.
«Beaucoup de gens oublient que les adoptés ont leur propre histoire avant d’arriver dans leur nouvelle famille, même juste après leur naissance », souligne Chad Goller qui a ajouté Sojourner* à son nom de famille pour souligner sa quête d’identité perpétuelle.
Il y a quelques années, Chad a pu découvrir tout un pan de sa propre histoire. Ayant réussi à rentrer en contact avec une sœur de sa mère biologique, il a pu récupérer un album familial de photos et d’anciennes coupures de journaux. Sa mère de naissance, Yolandia-Maria Hurtt, était, elle aussi, une actrice qui avait joué à Broadway et dans l’Ohio. Elle est décédée en 2011.
Cet album, que Chad feuillette avec émotion, est devenu un lien tangible avec sa mère biologique. « C'est son travail ! » s’écrit-il fièrement. « Elle a touché cet album, je le touche à mon tour… Bien qu'elle soit décédée, je suis en contact direct avec ma mère… C’est certainement au-delà de tout ce que j’aurais jamais pensé de possible ».
*Sojourner : en anglais, un ‘sojourner’ est une personne qui réside temporairement dans un lieu. C’est également le nom de l’activiste abolitionniste et défenseur des droits des femmes, Sojourner Truth (1797–1883).
Chapitre 3: Discrimination à l’école Discrimination et racisme ordinaire sur les bancs de l’école
SEATTLE — Plantée sur le canapé familial, Nyara, 8 ans, raconte combien certaines situations sont éprouvantes pour elle à l’école. Son regard est perçant, et sa colère est perceptible jusqu’au bout de ses longues tresses qui fouettent l’air…
« Une fille de mon école a dit qu’elle ne voulait pas être mon amie parce que j’étais noire… Ça me met en colère alors je veux sortir de la classe et quitter l’école » s’énerve-t-elle.
« Avoir des enfants noirs m’a appris beaucoup de choses… Réaliser combien le racisme institutionnel est imbriqué dans notre structure scolaire est absolument phénoménal ! Et je ne m’en étais jamais rendu compte avant. »
– Stéphanie Poole, mère adoptive de trois enfants
Sa mère, Stephanie Poole, souligne que sa fille a déjà été punie plusieurs fois pour avoir quitté la classe « alors que certains enfants la provoquaient sur la couleur de sa peau ».
Nyara souffre de trouble du déficit de l’attention et de problèmes liés à un traumatisme, à l'instar de son jeune frère, Carter, également adopté. Mais pour Stephanie, qui est également maîtresse d’école, l’institution scolaire a sa part de responsabilité. Son expérience de maman adoptive de trois enfants noirs lui a montré que la couleur de la peau influe sur la perception du comportement ou sur les résultats scolaires d’un élève.
« Un psychologue scolaire a évalué Carter lorsqu'il était enfant et a déclaré qu'il avait une tendance ‘violente, agressive, perturbatrice’ », témoigne-t-elle indiquant qu’elle avait alors demandé au rectorat de retirer ces mentions du plan d’éducation spécialisé de son fils, craignant que l’étiquette ‘garçon à problèmes’ lui soit collée tout au long de sa scolarité. « Comment pouvez-vous énumérer ces descripteurs ? Comment pouvez-vous qualifier de violent un garçon de 6 ans ? » s’interroge-t-elle ?
Certains experts estiment que la couleur de la peau ou le fait d’être adopté peut avoir une incidence sur la perception de ces enfants en milieu scolaire.
Nicholas Zill, chercheur en psychologie à Washington DC, s'est concentré sur les résultats scolaires des enfants adoptés dans un rapport qu’il a co-écrit et qui a été publié en 2018. L'étude a révélé que les enfants adoptés sont plus susceptibles d'avoir des problèmes d'apprentissage et de comportement que les autres élèves.
« Les enfants adoptés ont souvent des problèmes de comportement en classe et ils ont des difficultés à s'entendre avec les autres enfants à un taux plus élevé que les enfants biologiques », explique-t-il. Néanmoins les enfants adoptés au cours de leur première année sont beaucoup moins susceptibles de présenter des problèmes, précise Nicholas Zill.
Mais quel que soit leur âge, le chercheur explique que certains enfants adoptés font face à une autre complication. « D'une manière générale, les enfants noirs présentent plus de problèmes que le reste des enfants adoptés, mais cette statistique est vraie aussi dans la population générale ».
En tant que mère et enseignante, Stephanie Poole considère que le système éducatif est lui-même un facteur dans les difficultés de certains enfants.
« Si vous passez en revue le programme scolaire, il est principalement centré autour du monde blanc », observe-t-elle. « Si vous regardez les livres étudiés, ils sont écrits par des Blancs et les principaux caractères sont blancs. Tout ceci prive nos enfants de couleur de références et de culture. »
Ce constat est partagé par la chercheuse Constance Lindsey qui a fait partie d'une équipe ayant analysé les données de plus de 100 000 élèves noirs en primaire et secondaire. La conclusion de cette rapport publié en 2017 est frappante : les élèves ayant eu au moins un professeur noir dans leur scolarité ont de meilleurs résultats scolaires. Pour Constance Lindsay, les professeurs servent de véritables modèles pour les élèves, particulièrement pour les familles défavorisées.
Elle insiste sur l’importance de la formation du corps enseignant. « Si vous avez un enseignant blanc qui n'est pas formé aux différences culturelles et à la manière de travailler avec des étudiants de diverses origines, cela peut être préjudiciable pour les étudiants », affirme-t-elle.
Dans cette étude réalisée aux Etats-Unis, il est aussi démontré que si les élèves noirs ont des professeurs noirs, le taux d'actions disciplinaires comme la suspension ou l'expulsion diminue considérablement.
Stephanie Poole a finalement changé ses enfants d’école pour choisir un établissement, la Highline Public Schools, où le personnel est formé à la diversité.
Elle admet qu’elle-même a beaucoup évolué en tant qu’enseignante depuis qu’elle a eu ses enfants. « Les leçons que j'ai apprises en tant que mère blanche ayant des enfants noirs sont incommensurables... Et il est absolument phénoménal de voir combien le racisme est implanté dans nos structures scolaires » se désole-t-elle. « Je ne l’avais absolument pas réalisé avant d’avoir des enfants noirs. »
Chapitre 4: Violences policières ‘Nous n’avons pas compris ce que c’est d’être noir en Amérique’
DENVER, Colorado — Une nuit de janvier 2009, Alex Landau, alors tout jeune étudiant de 19 ans, a une faim de loup. Accompagné d’un copain, il prend sa voiture pour aller s’acheter un burger. Quelques minutes plus tard, il entend la sirène de la police et se range sur le bas-côté. Selon les forces de l’ordre, le jeune homme aurait effectué un virage à gauche sans avoir utilisé son clignotant.
Noir adopté bébé par une famille blanche, Alex Landau n’a jamais eu de déboires avec la police… Alors que les agents veulent fouiller sa voiture, il leur demande naïvement - en répétant ce qu’il a entendu dans les séries télévisés - si les officiers ont un mandat de perquisition.
«Nous n’avions pas compris ce que c’est d’être noir en Amérique, ce que représente le fait de grandir dans une famille transraciale… Je n’avais rien compris au concept de la race. J’étais tellement naïve ! »
– Patsy Hathaway, mère adoptive blanche
En guise de réponse, un premier policier le frappe au visage. Alex s’écroule. Les trois agents alors s’acharnent sur lui au sol. Admis à l’hôpital, il aura besoin de 45 points de suture et sera traité pour un nez cassé, une commotion cérébrale, de même qu’une lésion cérébrale traumatique.
Quelques années plus tard, après avoir assigné la ville de Denver en justice, Alex Landau finit par gagner 795 000 $ de dommages et intérêts. Malgré cette victoire judiciaire, le jeune homme se dit transformé à jamais.
« Je suis une personne différente à cause de cette nuit, et cela a complètement changé la trajectoire de ma vie » raconte Alex Landau, qui, depuis, est devenu activiste et militant pour la justice sociale.
Ses proches ont également été particulièrement éprouvé par ce drame. Sa mère, Patsy Hathaway, continue de se culpabiliser, estimant d’avoir su protéger son enfant.
« La couleur de la peau ne faisait aucune différence pour nous », se souvient-elle. Avec son mari, elle rejoint un groupe de parents ayant adopté des enfants de couleur, et achète des livres d’enfant avec des personnages noirs.
« Superficiellement, nous avons été formidables » ajoute-t-elle amère. « Mais nous n’avons pas compris ce que c’est d’être noir en Amérique, ce que cela représente de grandir dans une famille transraciale. "
Alex acquiesce : « jeune, je n’ai jamais vraiment été capable de distinguer en quoi ma couleur de peau était différente de celle d’autres personnes autour de moi, même au sein de ma propre famille. »
Aujourd’hui, son regard est radicalement différent. Membre de la Coalition pour la réforme de la justice pénale dans le Colorado, il anime des ateliers dans des lycées et collèges pour enseigner aux jeunes à mieux connaître leurs droits civiques.
Il fait également du porte-à-porte, comme à Sun Valley, un quartier pauvre de Denver où de nombreux immigrants africains se sont installés. « Ici, nous apprenons aux gens à mieux gérer leurs interactions avec les forces de l’ordre » raconte Alex.
Ses parents, Patsy et Steve, s’interrogent toujours sur ce qu’ils auraient pu faire, ce qu’ils auraient dû faire pour protéger leur fils du profilage et de la discrimination. Alex les rassure… Il aurait fait face aux mêmes risques, même s’il avait eu des parents africains-américains.
Chapitre 5: La quête de ses origines ‘Retrouver ma mère de naissance m’a réconcilié avec moi-même’
SEATTLE, Washington — En grandissant, Angela Tucker a toujours senti un vide au plus profond d’elle-même… La jeune fille a pourtant grandi au sein d’une famille nombreuse , composée de ses deux parents blancs et de ses sept frères et sœurs presque tous adoptés comme elle, sauf sa sœur aînée.
Un sentiment qui s’estompera quand, à 26 ans, elle retrouve sa mère biologique : « cela m’a aidé à me sentir plus complète », témoigne-t-elle.
Maintenant âgée de 33 ans, elle dirige le service post-adoption à l'agence Amara de Seattle, s’appuyant sur son expérience pour aider les jeunes adoptés à façonner leur propre identité.
Angela a bénéficié du soutien de ses parents adoptifs, Teresa et David Burt, lorsqu’elle a décidé d'en apprendre plus sur ses racines et d’aller à la recherche de ses parents biologiques.
« Ce fut difficile pour moi au début » se souvient Teresa, sa maman adoptive. « J'ai eu peur d'être remplacée en quelque sorte ». Mais la force et la détermination absolue de sa fille l'ont fait changer d'avis. « J’ai fini par me lancer moi-même dans cette quête avec beaucoup d'enthousiasme... Cela m’a libérée !"
Pour le père d’Angela, David, ce fut tout le contraire. Il n’a jamais craint que sa relation avec sa fille pâtisse de cette recherche. « J'ai eu le bonheur de l'élever depuis ses un an jusqu'à son entrée à l'université... Rien ne peut m'enlever cela !" déclare-t-il ému.
Angela Tucker a d'abord retrouvé son père biologique grâce à Facebook. Puis elle a pu rencontrer sa mère biologique, Deborah, il y a près de dix ans. Depuis ils se voient régulièrement, se parlent et communiquent par textos. Son père biologique est décédé en 2018.
Deborah témoigne : pour elle, renouer avec sa fille biologique est « un cadeau de Dieu ».
Plusieurs années ont passé maintenant depuis leur première rencontre et Angela reconnaît qu'elle n'a pas eu forcément de réponses à tous ses questionnements. Pour la jeune femme, leurs différences socio-culturelles y sont pour beaucoup. « Je suis de classe moyenne, ce qui n’est pas son cas », explique Angela. « Nos conversations sont particulièrement difficiles. »
Mais Angela est certaine : « notre relation est très forte, nous nous aimons vraiment beaucoup mais nous vivons tellement différemment ! »
Teresa, la mère adoptive d'Angela, en est persuadée, les recherches de sa fille « l’ont rendue plus forte. Et cela lui permet aujourd’hui d'aider les autres dans leurs recherches. »
C'est aussi cette expérience qu'Angela Tucker utilise dans la série web-TV «The Adopted Life», qu'elle a créée avec son mari, le cinéaste Bryan Tucker. Elle interviewe des jeunes adoptés sur leurs parcours et leurs questionnements. Dans l'agence d'adoption où elle travaille, Amara, elle a aussi lancé un programme de mentorat.
‘Everyone is looking to figure out who they are. ... I think for adopted kids, and particularly transracially adoptee kids, they have to continually work through their stories.’
– Brett Bowton-Meade, adoptive father
A 9 ans, Maggie en bénéficie. Noire, elle a été adoptée par Amy et Brett Bowton-Meade, un couple blanc qui a également deux filles biologiques - une plus âgée et une plus jeune que Maggie.
Même si elle est encore très jeune, Maggie a beaucoup de questionnements sur ses origines et sur sa mère biologique. Angela lui a conseillé d'écrire dans un journal intime.
« Je note des choses dans mon journal », nous raconte Maggie en nous montrant un petit cahier pailleté. « J'ai rajouté des photos et si je rencontre un jour ma mère de naissance, je l'emmènerais avec moi ».
Dans son agence d'adoption, Angela Tucker essaye aussi d'être proactive et tente d'avoir de nouvelles idées. « Peu de familles noires adoptent aux Etats-Unis. Et j'aimerais essayer de comprendre pourquoi », nous explique-t-elle.
« Bien sûr je n'affirme pas que les adoptions devraient toujours se faire entre personnes de la même race », dit-elle. « Mais l'adoption d'un enfant noir par une famille blanche, cela peut être délicat, un peu comme apprendre à marcher sur une corde raide ».
Avoir retrouvé ses parents de naissance a rendu Angela moins « confuse » selon elle. « Mais… », ajoute-t-elle avec un regard intense, « le fait que ma mère de naissance n’a pas pu m'élever est triste. Et ça ne changera jamais. »
Crédits
Reporter: Claire Morin-Gibourg
Camera: Arzouma Kompaoré
Montage: Betty Ayoub
Rédacteur en chef: Timothée Donangmaye
Réalisation — Conception: Edin Beslagic and Stephen Mekosh
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